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Un exode nouveau

Père Olivier de Vasselot

Durant ce temps de confinement, je peux prendre plus de temps pour lire la Bible. Ainsi, ma lecture du Pentateuque (les 5 premiers livres de la Bible) avance plus vite que prévu. Et cela me fait entrer dans la dynamique du peuple hébreu au désert.

Tels que nous les présentent l’Exode ou le Deutéronome, les 40 ans du peuple hébreu dans le désert sont un temps de réflexion et de maturation avant de passer le Jourdain pour enfin atteindre la Terre Promise. Ce long cheminement est comme un enseignement pour ne pas oublier les paroles, les pensées, les cris, les espérances, ne pas oublier tout ce qui a paru essentiel dans ces années de dénuement dans le désert.

 

Pour les plus anciens d’entre nous, lorsqu’enfants nous nous plaignions de manquer de ceci ou de cela, de ne pas pouvoir faire ceci ou cela, nos parents nous rappelaient les privations de la guerre. Cela nous semblait radotages et vieilleries. Pourtant, je ne suis né que 15 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Pour nos parents, la référence n’était pas si lointaine. Les privations et les souffrances étaient encore inscrites dans leur chair. Mais nous, nous ne voulions pas écouter et nous avions déjà oublié ce qui aurait dû être inscrit dans la mémoire collective. Peut-être n’avaient-ils pas forcément la manière de nous le rappeler, mais nos parents nous invitaient à rechercher où était l’essentiel alors que nous vivions dans l’euphorie d’une période de plein-emploi, de croissance permanente. Ce qu’on a appelé ensuite les Trente Glorieuses. Il semblait alors que tout nous était permis, que rien ne pourrait arrêter cette vie d’abondance qui se proposait à nous.

J’aime cette bénédiction finale des mariages qui dit : « Que votre travail à tous deux soit béni, sans que les soucis vous accablent, sans que le bonheur vous égare loin de Dieu. »

Le risque, lorsque tout va bien, c’est de s’endormir sur son bonheur et d’oublier les exigences qui permettent de le faire grandir. Nous n’utilisons pas le bonheur comme il faut. Nous laissons alors le bonheur nous égarer loin de Dieu lorsqu’il devient source d’égoïsme :

mon petit bonheur à moi, personnel et privé.

Ainsi, ce temps que nous vivons peut être l’occasion de redécouvrir pour chacun où est l’essentiel. Le redécouvrir et le noter pour pouvoir continuer à le vivre dans les jours de bonheur. Et apprendre à user avec intelligence de ce bonheur.

 

Dans les échanges téléphoniques que nous avons les uns et les autres, il nous arrive souvent de dire comme un souhait, comme une espérance, comme un réel désir : « les choses ne pourront plus être comme avant. Il y aura un avant et un après. »

Que disons-nous lorsque nous disons « comme avant » ? Il me semble que j’entends dire : « Nous ne pourrons plus rester égoïstes », « nous ne pourrons plus continuer à consommer comme on consommait : il faudra être raisonnable », « on avait perdu le bonheur des petites choses, il faudra continuer à apprendre à se contenter de peu », « On ne pourra plus courir comme on courrait chaque jour », « Il faudra prendre du temps pour se parler », « il faudra prendre du temps pour aimer ».

Nous regardons en arrière, et nous apparaît tout ce que ce monde pouvait avoir de nombriliste. Il ne faudrait pas non plus noircir le tableau et oublier toutes les bonnes choses qui se sont vécues et qui nous permettent de traverser cette épreuve. Mais, nous ressentons là un réel appel collectif à aller vers plus de fraternité, de solidarité, de simplicité, de respect de notre terre, etc.

En 1989, après la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, nous pensions que la fraternité était arrivée, qu’il n’y aurait plus jamais de guerres et de violences. Je me souviens de cette euphorie qui nous gagnait de manière bien naïve. Plus de 30 ans après, on peut se demander ce que nous avons fait de cette chance qui nous avait été offerte. Notre péché a sans doute été de croire que la fraternité, l’amour universel, la solidarité, nous étaient donnés et qu’il n’y avait aucun effort à faire pour les conserver.

La fraternité est fragile. Ce qui nous sera donné à vivre après l’épidémie sera sans doute de construire, de consolider cette fraternité, de ne pas la considérer comme un acquis.

 

Comme je vous le disais, je relis actuellement les premiers livres de la Bible et notamment ces nombreux récits dans l’Exode et le Deutéronome où le peuple hébreu reste longtemps dans le désert. Il avance de révoltes en espérances, de rébellions contre Dieu en demandes de pardon.

 

Il y a eu la joie de la fin de l’esclavage et la traversée de la mer Rouge. Les Paroles de vie sont données à Moïse ; alors le peuple dit « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons. » Mais, voilà, à la première difficulté venue, ils se découragent et se révoltent. Les bonnes résolutions fondent comme neige au soleil.

Ce sera le veau d’or. Ce sera la révolte devant la soif. Puis les murmures lorsque le peuple a faim. À chaque fois Dieu répond à l’appel des hébreux. Alors de nouveau le peuple dit : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons » …et à la difficulté suivante…c’est le découragement.

Je ne sais pas quelle a été votre réaction intérieure lorsque les 15 jours de confinement supplémentaires ont été annoncés (bien que nous nous y attendions), s’il y a eu du découragement, de l’inquiétude. Peut-être vous êtes vous sentis solidaires de ce peuple qui rouspète dans le désert. Et il y a des matins où l’on se réveille avec plus ou moins d’énergie. Il faut pourtant avancer en préservant tout ce que nous découvrons de bon. Et si l’on a du mal à avancer pour soi, nous sentons bien qu’il faut avancer pour que les autres restent debout.

 

Mais la pointe de ce long passage dans le désert est la pédagogie avec laquelle Dieu se révèle et inscrit dans le cœur de son peuple une loi de vie. Et c’est dans l’espérance que cette loi ne soit pas seulement gravée sur des pierres mais bien dans le cœur de chacun que le peuple, après 40 années dans le désert, entrera en Terre Promise. L’enseignement de la Bible est que ces lois ne doivent pas rester extérieures à l’Homme mais qu’elles ont à devenir des paroles de vie. Jésus résumera l’ensemble de la loi dans sa réponse à un docteur de la loi qui lui a demandé quel est le plus grand commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

 

Nous vivons ce temps de confinement qui nous est donné chacun de manière différente selon que nous vivons seul, en famille, en communauté, selon la possibilité de disposer d’un peu d’espace ou de n’avoir que quelques pièces à sa disposition, selon les inquiétudes économiques auxquels nous sommes confrontés. Mais pour chacun, cela peut être l’occasion de redécouvrir quelles sont pour nous ces paroles de vie, ce qui est source de vie pour soi-même, pour la vie familiale ou communautaire, pour la vie en société, dans ma relation à Dieu.

 

Découvrir les paroles de vie nous entraîne forcément à regarder de l’autre côté du miroir : je découvre, comme en négatif, les paroles de mort, les attitudes qui ne font pas grandir ou qui blessent la fraternité, les énervements vis-à-vis de moi-même, ou mon découragement dans ma relation à Dieu comme le peuple hébreu dans le désert. Pécher, vous le savez, cela veut dire « manquer la cible ». Il ne s’agit pas de rentrer dans une introspection pour une culpabilité malsaine, mais simplement découvrir où est la source de vie en moi ou ce qui bloque la vie en moi.

 

L’Évangile de ce dimanche nous racontait la résurrection de Lazare. « Enlevez la pierre » dit Jésus. Quelle pierre dois-je enlever pour aller moi aussi vers la vie ? « Déliez-le et laissez- le aller » : De quoi ai-je besoin d’être délié, libéré pour avancer, pour aller ? Ou autre image : il y a des sources qui ne peuvent plus jaillir parce qu’elles sont encombrées de sable, de terre, ou de cailloux qui empêchent l’eau de jaillir. Qu’est-ce qui empêche la source de jaillir en moi, qu’est-ce qui empêche que cette eau coule, ou comment suis-je un obstacle à la vie ?

Prendre le temps de regarder honnêtement tout cela, de le noter par écrit peut-être, pourra m’aider à faire mémoire ensuite pour prendre soin de la fraternité.

 

Pour ma part, la lecture de l’Exode et du Deutéronome en ces temps est très enrichissante. C’est une découverte par le cœur de la manière dont Dieu prépare son peuple au bonheur.

Nous savons que Dieu n’envoie pas le mal. Dieu n’est pas non plus un magicien qui empêche ceci ou cela, mais il nous donne les paroles, sa Parole pour traverser l’épreuve. Il nous donne sa force pour avancer dans la tempête et être nous-mêmes ses bras, sa bouche, ses yeux, son cœur pour construire à partir de sa Parole une vraie communauté humaine.

 

Et déjà cela se met en œuvre de 1000 manières : il y a ces coups de téléphone passés aux plus isolés, il y a ces dessins ou ces lettres envoyées dans les maisons de retraite, il y a ces courses qui sont faites pour les voisins plus âgés ou ceux qui sont atteints par le virus, il y a cette disponibilité du personnel soignant, de ceux qui accueillent dans les magasins, de ceux qui permettent qu’un minimum de vie puisse continuer. Nous entendons parler d’un fourmillement d’initiatives où le cœur de l’homme se révèle dans ce qu’il a de meilleur.

Dans tout cela nous voyons Dieu agir. Et là aussi, rien de tout cela ne devra être perdu.

 

Sans doute, comme les hébreux, nous faudra-t-il écrire ce qui nous aura paru essentiel pour faire mémoire, non seulement pour ne pas oublier mais pour continuer à vivre de ce que nous aurons découvert. Il nous reviendra de protéger ce que nous avons découvert comme un trésor qui nous aura été donné et que nous aurons non seulement à conserver précieusement, mais aussi à faire fructifier.

 

Sans doute, comme les hébreux, nous faudra-t-il également prendre sérieusement le temps de remettre dans les mains de Dieu tout ce qui aura été contraire à l’amour fraternel durant ces temps. Il me semble qu’un moment important après l’épidémie, sera de vivre la joie du sacrement du pardon qui ouvre sur le bonheur de la vie fraternelle.

 

La Semaine Sainte pourra être l’occasion de prendre le temps d’écrire chacun pour nous-même ce que ces évènements nous auront déjà révélé d’essentiel avant d’entrer en Terre Promise. D’une certaine manière prendre le temps d’écrire notre livre de l’Exode. Nous nous préparons à fêter la résurrection de Jésus. Passer de la mort à la vie : cela nous dit quelque chose aujourd’hui. Avec quoi allons-nous entrer dans cette Terre Promise ouverte par la résurrection de Jésus ? Le peuple hébreu est entré en Terre Promise avec les lois et les commandements inscrits sur des tables de pierre mais surtout inscrits dans les cœurs. Quel sont ces paroles, ces lois, ces commandements, ces orientations, ces désirs profonds inscrits dans mon cœur avec lesquels je désire entrer en Terre Promise pour protéger l’amour fraternel ?


Saints Innocents

Icône des saints Innocents

Seigneur, nous te confions tous les « innocents » de notre monde d’aujourd’hui victimes de la guerre, de la violence familiale, des conflits de pouvoir, de la folie des hommes…

Par ta Passion et ta Résurrection, viens leur donner ta Vie en plénitude !


Renoncer pour accueillir la Vie du Christ

L’Évangile est le livre de la Vie du Seigneur
Il est fait pour devenir le livre de notre vie.
Il n’est pas fait pour être compris mais pour être abordé comme un seuil de mystère.
Il n’est pas fait pour être lu, mais pour être reçu en nous.
Chacune de ses paroles est esprit et vie.
Agiles et libres, elle n’attendent que l’avidité de notre âme pour fuser en elle.
Vivantes, elles sont elles-mêmes comme le levain initial qui attaquera notre pâte et la fera fermenter d’un mode de vie nouveau.
Les paroles des livres humains se comprennent et se soupèsent.
Les paroles de l’Évangile sont subies et supportées.
Nous assimilons les paroles des livres.
Les paroles de l’Évangile nous pétrissent, nous modifient, nous assimilent pour ainsi dire à elles.
Les paroles de l’Évangiles sont miraculeuses. Elles ne nous transforment pas parce que nous ne leur demandons pas de nous transformer. Mais, dans chaque phrase de Jésus, dans chacun de ses exemples, demeure la vertu foudroyante qui guérissait, purifiait, ressuscitait.
À la condition d’être, vis-à-vis de lui, comme le paralytique ou le centurion, d’agir immédiatemment en pleine obéissance.
(...)
Approcher l’Évangile de cette façon-là, c’est renoncer notre vie pour recevoir une destinée qui n’a pour toute forme que le Christ.

Madeleine Delbrêl, in *La joie de croire*, 2e édition. pp. 37-38

Fête-Dieu

Cette fête du Saint-Sacrement nous invite à une lecture particulièrement personnelle de notre pratique de la communion. Notre « Amen » donné en réponse au prêtre qui me présente le corps / le sang du Christ est une parole d’engagement. Une parole de foi.

Ma communion est le lieu de la rencontre ultime et intime de ma vie avec le Seigneur. Il a donné sa vie. Qu’est-ce que j’en fais ?

Le dernier repas de Jésus avec ses disciples débute par l’expression de son désir : « j’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir » (Lc 23, 25). Un grand désir… Quel est le mien ?

Puis Jésus laisse de côté l’agneau sur la table pour prendre le pain et le vin. Deux éléments simples du quotidien qui nourrissent toutes vies depuis les origines. Le sacrifice effectué au Temple passe désormais dans celui qu’opère le Christ par ces mains : « ceci est mon corps – ceci est mon sang ». Dieu prend place à la table des hommes, à la table de nos humanités pour un festin nouveau. Il passe là près d’une simple et pauvre table qui devient fraternelle.

Et dans ces actes alimentaires, je me nourris de la vie éternelle. À travers ce pain/vin, c’est la vie corps/sang du Ressuscité que je reçois. Il y a union de ma vie et de la sienne. La vie du Christ m’inonde alors d’une éternité que le quotidien engloutit profondément dans la banalité de mon existence charnelle. Mes petites morts – et la grande aussi – sont alors transfigurées.

Est-ce que j’y crois, consens vraiment ?

Si oui, c’est bien la fête en Dieu aujourd’hui.


Acquérir l’Esprit Saint

Cette célèbre phrase de saint Séraphim de Sarov au jeune Motovilov, venu s’entretenir avec l’ermite sur sa vie chrétienne, explique clairement l’enjeu de la célébration de la fête de la Pentecôte. Notre vie chrétienne consiste à vivre de la vie de Dieu, à aimer comme Dieu nous aime.

Si l’Esprit Saint est souvent décrit comme un souffle insaisissable, une colombe, un feu… cela nous indique que nous n’aurons jamais mis la main sur lui. Mais qu’il n’est pas pour autant étranger à nos vies, et qu’il se manifeste à nous sous diverses formes et modalités. La lecture continue du Livre des Actes des Apôtres durant le temps pascal nous a éclairé sur son action en chacun : il donne la force du témoignage, il conseille, il libère, il enseigne et fait mémoire de l’accomplissement des Écritures, il répand la joie, il éclaire nos âmes de la vérité, il communique la vie…

Bref, pas d’authentique vie chrétienne sans l’Esprit Saint.

Alors pourquoi ne pas l’invoquer sans cesse ? Le jeûne, les veilles, les aumônes… sont des moyens pour provoquer sa venue en nous. Mais la prière, révèle le Père Séraphim au jeune chercheur de Dieu, est le moyen le plus efficace car elle est pratiquable en toutes occasions : « chacun a toujours la possibilité de prier, le riche comme le pauvre, le notable comme l’homme du commun, le fort comme le faible, le bien portant comme le malade, le vertueux comme le pécheur. »

Alors en cette fête de la Pentecôte, appelons-le de toute notre force. Et « puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit. » (cf. Galates 5, 25), nous serons habités d’une joie indicible qui rayonnera et touchera le coeur des hommes de ce temps. Ne traînons pas car il y a urgence à embrasser le monde ! Urgence à être ami de Dieu pour aimer comme Lui !

cf la page « Le but de la vie chrétienne ».


Notre pain quotidien

Il y a des chrétiens qui sont des escaladeurs de paradis. Il y a ceux qui sont des « terriens ». Ils attendent que le paradis descende en eux et les creuse à sa taille.

La taille du paradis en nous, c’est l’accomplissement minutieux et magnanime de notre devoir d’état. Le devoir d’état qui est le contraire de ce que l’on pourrait appeler l’esprit de mouvement, de recherche. C’est lui qui livre à la visitation de Dieu la petite parcelle d’humanité que nous sommes et qui nous établit dans une ordonnance d’amour.

Faire son devoir d’état, c’est accepter de rester là où on est pour que le règne de Dieu vienne jusqu’à nous et s’étende sur cette terre que nous sommes.

Madeleine Delbrêl, « notre pain quotidien » (1941)

(in La sainteté des gens ordinaires, Nouvelle Cité 2014)